LE VOL

“Les Etats ont commencé à limiter l’usage de l’avion. D’abord, ils ont augmenté le prix des vols : mais ce n’était pas très juste, puisque les riches continuaient de voler… »
Elle marque une pause et ajouta avec un gloussement : « De voler dans les airs, je veux dire… » mais leurs expressions atones lui confirmèrent que sa blague avait fait choux blanc. 
« Alors on décida de limiter le nombre de vols possible par mois. Et puis, par an. Et enfin, au moment de la Révolution, on décida qu’il ne serait plus possible de voler qu’une fois dans sa vie, et que ce vol serait gratuit. »

OLYMPE

L’un des écrans incrustés se mit à diffuser un passage des derniers Jeux Augmentés : l’épreuve du 1000 mètres, la préférée du public. Elle admira le sourire brillant et les jambes-lames étincelantes de la médaillée d’or, Elyah Irving : l’alliage unique de titane et de fibres micro carbones avait été mis au point par Tesla, tandis que Google s’était chargé du software, le tout abondamment subventionné par le gouvernement États-unien. Une victoire de plus…

CROSSVERSE

En moins de six mois, CROSS permit grâce à ses achats in-app d’augmenter de 15% les ressources de l’Eglise. Au bout de deux ans, les coffres papaux débordaient de Dollars et de crypto-monnaies. Sermons personnalisés, visites 3D du Vatican, retransmission des messes romaines, filtres dernière génération pour personnaliser ses avatars… Et cerise sur la gâteau divin, 5% de tous les revenus de l’app étaient reversés à une association luttant contre la pédophilie.

L’odeur
des cookies

La première fois que Lou s’était manifesté, une obscurité réglisseuse, brillante et collante, emplissait la chambre de Tom. Il était pourtant tôt, à peine huit heures, mais nous étions en hiver et la vieille baraque de guingois qu’habitaient le petit garçon et sa famille se dressait à deux rues du lampadaire le plus proche.

LE TROPHÉE

Sur l’étagère murale du salon de Fabien Campet, il y avait des trophées. D’or surtout, quelques-uns d’argent et même un ou deux en bronze – mais ceux-là étaient planqués au fond. Tous, cependant, brillaient du même éclat passé, celui des souvenirs qu’on astique avec vigueur depuis trop d’années. Non pas que Fabien fût spécialement vaniteux ; mais il savait que ces trophées seraient les derniers qu’il remporterait.

le lien

Emmanuel m’a tout de suite fait penser à son homonyme de l’Elysée. Pourtant, il était plus grand, plus costaud, plus jeune aussi. Son nez était plus rond. Sa barbe de trois jours, sa veste de cuir et son jean trop serré n’avaient rien de présidentiel. Mais quand bien même, c’était flagrant, impossible de passer à coté. C’était, je le réalisai peu après, cet éclat dans le sourire. Tout en dents, à la fois assuré et détendu. Un sourire de vainqueur, celui d’un type à qui tout souriait et qui savait qu’il n’était pas là par hasard. Je venais de m’asseoir à une table. J’avais conduit toute la journée, j’étais fatigué. Pas d’humeur loquace. J’étais venu boire un Perrier tranche, le temps de faire le point sur mes courses de la semaine. J’étais taxi. Taxi dans la Sarthe. Mon boulot consistait à accompagner les petits vieux et les petites vieilles de chez eux au CHU le plus proche.

ATTENDS-MOI

Les mains plantées dans les poches de sa doudoune, Nicolas attendait. Il avait l’impression d’avoir fait ça toute sa vie : attendre. Attendre que la semaine s’achève, attendre que le mois se termine, attendre qu’une année de plus tire sa révérence, attendre de grandir, attendre de se barrer. Attendre, attendre, attendre. Attendre Vincent. Il jeta un coup d’oeil à sa Swatch - un cadeau de son père, celle avec le cadran rotatif et le fond fluo qu’il adorait. Et merde. Presque 8h15, et la cloche sonnait à 25. Il allait vraiment être à la bourre. 
Le ventre noué, il scruta une fois de plus la cour du 18 rue Joliot Curie, de l’autre coté de la grille. Quelqu’un arrivait… Mais non, ce n’était pas lui, un autre garçon de leur lycée qu’il ne connaissait pas. Nicolas se détourna et fit quelques pas vers la droite d’une démarche gauche, l’air de s’en aller. Ses yeux se mirent à le brûler, comme toujours. Il détestait qu’on le voit attendre. 

RELATION TOXIQUE

Essoufflés après leur lente et méthodique montée, les deux vieillards s’arrêtèrent au sommet de la colline afin de contempler la vallée. Une vision propre à donner le sourire : oliviers, orangers et citronniers s’élançaient au milieu des herbes hautes que traversaient ventre à terre lapins et autres rongeurs. Plus à l’est, au bout d’un chemin de terre rouge bien entretenu, se dressaient quatre belles tentes et deux bâtisses en pierre et terre séchée. La vue d’une femme vêtue de bleue qui sortait de l’une des tentes arracha un sourire joyeux à l’un des deux hommes ; il se tourna vers son compagnon. 

SOLIDARITÉ

« Est-ce qu’on peut arrêter deux minutes avec le politiquement correct ? Agresser sexuellement quelqu’un sans le vouloir – enfin, ce qu’on appelle agresser aujourd’hui - ça peut arriver à n’importe qui. Y compris des mecs très bien, qui n’ont rien de violeurs. » Stéphane ponctua sa question d’une posture christique, bras grand ouverts et menton levé. Prêt à être crucifié en place publique par des hordes de femmes hystériques et leurs Alliés bavant, pensa Adil. 
Cécile se leva. Elle avait beau sourire, il pouvait voir qu’elle se retenait d’exploser - à sa manière de pencher la tête sur le coté et de regarder leur associé en plissant les yeux.