SOLIDARITÉ

« Est-ce qu’on peut arrêter deux minutes avec le politiquement correct ? Agresser sexuellement quelqu’un sans le vouloir – enfin, ce qu’on appelle agresser aujourd’hui - ça peut arriver à n’importe qui. Y compris des mecs très bien, qui n’ont rien de violeurs. » 
Stéphane ponctua sa question d’une posture christique, bras grand ouverts et menton levé. Prêt à être crucifié en place publique par des hordes de femmes hystériques et leurs Alliés bavant, pensa Adil. 
Cécile se leva. Elle avait beau sourire, il pouvait voir qu’elle se retenait d’exploser - à sa manière de pencher la tête sur le coté et de regarder leur associé en plissant les yeux. 
« Bon, j’ai dit ce que j’avais à dire. Je vous laisse finir. »
Adil et elle échangèrent un bref signe de tête. Puis il reporta son attention sur Stéphane et répondit aussi calmement que possible : 
« Et non : je ne crois pas qu’on puisse être un mec bien, comme tu dis, et agresser sexuellement quelqu’un. »
Stéphane leva les yeux au ciel.
« Tu te plantes. Je sais ce que tu penses - je suis juste un sale macho rétrograde. Mais la vie, c’est un peu plus compliqué qu’une publication Facebook. » 
Pourquoi s’emmerder à répondre ? Adil traversa le bureau jusqu’au frigo, allumant au passage le plafonnier. Il faisait nuit. Un coup d’oeil à sa montre lui apprit qu’il était déjà 19h. Ils discutaient depuis plus de deux heures… pas étonnant qu’il en ait marre. 
De l’autre coté de la paroi de verre, l’open-space grouillait d’activité. C’était toujours comme ça en fin d’année, les clients vous balançaient un brief mal ficelé avant de se barrer en vacances. Il salua une chef de projet et se demanda, un peu embarrassé, si elle se doutait de quoi ils discutaient… Les nouvelles allaient vite, dans une entreprise de cette taille. 
Il attrapa deux bières et rejoignit son associé. Son associé, oui… Ils s’étaient rencontrés lors de leur dernière année en école de commerce. Deux ans plus tard, avec l’aide de Cécile, ils lançaient leur boîte. 
Ils venaient juste de fêter leur quatrième année d’existence - et en guise de cadeau d’anniversaire, ils écopaient d’une accusation d’agression sexuelle envers l’un de leurs managers.  
« Je sais que ça fait cliché de dire ça, reprit Stéphane lorsque Adil lui tendit sa bière, mais c’est vraiment au moment de l’affaire avec le producteur, là… Comment il s’appelait déjà ? Il y a deux ans ? 
- Weinstein ?
- Ouais. Weinstein. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’ampleur du truc. Il a agressé, quoi… Vingt ? Trente femmes ? Et personne n’a rien dit. Pas un mot.
- Il était trop puissant. Tu l’ouvrais, tu étais grillée.
- Les actrices, je comprends. Mais les types ? Ils étaient tous au courant et faisaient mine de regarder ailleurs. Je veux dire, ça aurait pu tomber sur leur copine, sur leur fille…
- Parce que c’est moins grave si c’est pas ta femme ou ta fille ? »
Stéphane haussa les épaules.
« C’est humain, de se sentir davantage concerné quand ça concerne quelqu’un de proche. Non ?
- Ta femme, ta sœur, ta fille... Comme si une femme appartenait forcément à quelqu'un, à un troupeau. Soit le tien, soit celui du voisin – et dans ce cas, pas touche. Et si elle n'appartient à personne... ben, tant pis pour elle. C’est pas humain, c’est juste primitif.
- Merci pour le cours d’anthropologie, répliqua Stéphane en se marrant. Mais si c’était ta soeur dont on parlait et pas une de tes employées, tu serais pas plus remonté ? T’aurais bien envie de lui casser la gueule, au mec ! Me dis pas le contraire, je te croirai pas. Et ce Weinstein, c’était un pervers. Quand tu parles de troupeau, on a l’impression que tous les mecs sont comme ça…
- Beaucoup de mecs le sont. C’est juste qu’ils n’ont pas les moyens d’un producteur ou d’un politique. Tu te demandes pourquoi les types d’Hollywood ont laissé faire Weinstein ? A part le fait que presque tous avaient bossé ou bossaient avec lui et que personne ne voulait prendre le risque de se cramer… Tu peux être sûr que la plupart ne se sentaient pas très propres… » Voyant que Stéphane se penchait pour l’interrompre, il ajouta : « Tu sais quoi ? Laisse tomber. C’est pas le sujet.
- Non, je laisse pas tomber. Parce que j’en ai un peu ma claque de m’entendre répéter partout et tout le temps « les vilains hommes, vous êtes la cause de tous les maux de ce monde »…Y compris venant de mecs ! Tu sais comment c’était du temps de nos parents ? Je peux t’assurer qu’on n’aurait pas été assis là, à discuter de la pauvre Anaïs à qui David a mis une main au panier…
- Une main au panier, hein ?
- Ok, c’était un peu plus que ça… Bref, ce que je voulais dire, c’est que, de temps en temps, on devrait s’accorder du crédit. Quand on le mérite. Comme là. Franchement, imagine combien de dirigeants, à notre place, essaieraient de minimiser le truc…
Adil balaya la cendre de son jean et étendit ses jambes en travers de la table. C’était frappant, comme cette histoire changeait son regard sur certains aspects de sa personnalité. Cette manière de tout prendre au second degré, par exemple. Ou son sexisme. Il avait toujours pensé - et répété à ceux qui observaient Stéphane avec mépris - qu’il n’était qu’un provoc. Un genre de gamin turbulent qui adorait choquer. Et qu’au fond, il n’était pas comme ça. 
Pas comme ça. 
Il jeta un coup d’oeil à son téléphone - pas d’appel. Pas de texto non plus. Est-ce qu’elle allait lui répondre ? Trois heures déjà qu’il lui avait laissée un message. Elle l’avait forcément lu. Il consulta Twitter et les mentions sur l’agence. Rien. Pour l’instant.  
« Tu m’excuses deux minutes ? »
Il s’isola dans le couloir et composa son numéro. Il ne voulait pas donner l’impression de la harceler, mais elle ne lui laissait pas le choix… Répondeur. Il raccrocha, les poings serrés, une boule d’angoisse dans la poitrine. Deux nouvelles recrues passèrent devant lui et le saluèrent, tout sourire. Il leur adressa un signe de tête. Pas envie de se montrer trop familier. Cette histoire de dingue. 
Il retourna s’asseoir. Stéphane lui jeta un regard curieux. 
« Il se passe quoi ? 
- Rien. Enfin, si, il se passe que je perds un temps précieux à te convaincre…
- Si t’arrives pas à me convaincre, toi qui es si malin, c’est peut être que c’est pas si évident que ça ?
- Tu trouves vraiment ça drôle ?
- Drôle, non. Mais pas tragique, comme toi et Cécile. »
Pas tragique. Adil essaya de se représenter la scène - Anaïs bloquée dans un coin du bureau, suffisamment loin de la fête pour que personne ne l’entende crier, david penché sur elle. Lui promettant une augmentation ? Lui faisant remarquer qu’elle avait bien accepté de le suivre là, après tout ? Et Léa qui résistait - pas Léa, non. Anaïs. 

Elle ne rappelait pas. 

«T’es sûr que ça va ? »
Il souriait toujours, Stéphane, et Adil ne comprenait pas comment il pouvait sourire avec autant d’aisance, de détente. Pauvre con, pensa-t-il, et il eut soudain envie de se lever et lui foutre son poing dans la gueule. 
« Pas tragique, tu disais. Tu proposes quoi, du coup ? 
- La même chose que ce matin : david présente ses excuses et s’assoit sur ses primes de l’année. Anaïs, on la change de budget pour qu’elle n’ait plus à bosser avec lui. Et on lui propose un CDI à la fin de son contrat.
- C’est tout ?
- Je trouve ça bien. Juste.
- Juste ? Alors que c’est elle, la victime, qui doit changer de compte ?
- C’est plus juste que de virer l’autre pour faute grave ! Il a déconné un soir qu’il était bourré. Pour ce qu’on en sait, c’est la première fois… Et on n’a aucun témoin. Ca te dit, quelque chose la présomption d’innocence ? Et puis, ça va nous coûter une blinde aux prud’hommes, vos conneries. Et je te parle même pas de tous les jeunes types qui n’oseront pas venir bosser chez nous !
- J’en ai rien à faire. Et Cécile non plus. »
Stéphane soupira. 
« Et bon, tout ce truc de victime… Tu devrais en parler avec les filles, franchement. J’ai laissé traîner un peu mes oreilles depuis hier. Les mecs ne disent rien, mais les nanas… Elles ne sont pas tendres avec Anaïs. De ce que j’ai compris, elle aurait bien chauffé David… 
- T’es vraiment un pauvre con. »
Bon, au moins, c’était sorti. Et Stéphane ne souriait plus - c’était toujours ça de gagné. 
Il resta un instant figé, l’air incrédule, puis se leva. 
« OK, t’as gagné, j’en ai ma claque. De toute manière, puisque vous vous êtes mis d’accord avec Cécile, à quoi ça sert qu’on en parle ? »
Adil haussa les épaules. 
« On aurait préféré l’unanimité. Mais on fera sans. »
Stéphane resta planté là à le regarder en silence pendant un moment, hochant la tête.
« Tu sais quoi ? Je m’en branle. Faites ce que vous voulez. »
Il récupéra son paquet de clope, finit sa bière et quitta le bureau. 


Adil se donna une demi-heure avant d’aller voir Cécile. Il tenta de joindre Léa à sept reprises, sans plus de succès. Il consulta Twitter - c’est lui qui s’en occupait depuis la création de la boîte et il avait naturellement accepté de prendre en charge la modération quand le scandale avait éclaté, quand Anaïs avait publié son tweet dénonçant David. Il regrettait qu’elle n’ait pas choisi de leur en parler, avant. Ce qui en disait long sur l’opinion qu’elle avait de la direction… ce qui n’avait peut-être rien d’étonnant, avec un mec comme Stéphane dans la-dite direction. Il faudrait qu’il en parle à Cécile… Plus tard. 
Il s’approcha de la baie vitrée et jeta un coup d’oeil en direction de son bureau. Elle était là. 
Autant en finir maintenant. Ce ne serait pas un moment agréable et il s’attendait à se prendre un sacré savon… mais ce serait fait. 
Il parcourut les quelques mètres qui séparaient leurs deux bureaux et toqua à la porte entrouverte. 
« Tu as 10 minutes ? »
Cécile lui fit signe d’entrer et grimaça un sourire contrit. 
« Désolée de t’avoir laissé tomber, mais je n’en pouvais plus…
- Je te comprends. J’ai un peu craqué sur la fin, moi aussi.
- Tu l’as envoyé chier ?
- On peut dire ça.
- Il va nous suivre ?
- Pas exactement… Mais, et je cite : il s’en branle.
- J’avais remarqué. Et c’est un peu le problème… Enfin. On fait ce qu’il faut, c’est l’essentiel.
- Ouais… » Il hésita, jeta un dernier coup d’oeil à son téléphone. Rien. « Ecoute, il faut que je te parler d’un truc.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Alors qu’il allait lui répondre, ça le frappa de nouveau, brutalement - la manière dont elles se ressemblaient, elle et Léa. Mêmes cheveux bouclés et longs, même menton pointu, même expression constamment curieuse. Même finesse d’esprit, aussi. Il se rappelait le lui avoir dit ce soir-là, qu’elle avait tout pour devenir une « autre Cécile ». Il lui avait dit pas mal de trucs, ce soir-là. Des trucs sympas. 
« C’est un peu… gênant. Non, plus que ça. C’est problématique. 
- Tu me fais flipper, là. 
- Tu te souviens de cette fille qui était en stage l’année dernière ? Léa ?
- Celle qui bossait avec toi ? Ouais, très bien. Intelligente, motivée. Tu as de ses nouvelles ?
-Non. Enfin, je n’en avais pas… »
Et ce n’était pas faute d’avoir essayé, d’avoir multiplié les DM les semaines qui avaient suivi la soirée. Il avait fini par lâcher l’affaire, persuadé qu’elle n’avait simplement pas envie de le revoir. Qu’elle avait été déçue. Ou bien, qu’elle s’était servi de lui pour assouvir un fantasme d’étudiante - baiser avec le patron, un truc du genre.
« Elle a publié une série de tweets. Aujourd’hui, cet après-midi, juste avant la réu. Je ne t’en ai pas parlé car je voulais qu’on se concentre sur le cas d’Anaïs. 
- Et il dit quoi, ce tweet ?
- Elle… Ce sera plus simple que tu les lises. »
Il lui tendit son téléphone et attendit. Le thread était assez long, une quinzaine de tweets. Elle parlait de la soirée, de la nuit, du lendemain. Des mois qui avaient suivi. 
Cécile lui rendit son téléphone, les lèvres serrées. 
« Elle ne m’en avait jamais parlé. J’imagine qu’elle a vu le tweet de Léa et que ça l’a incitée à… 
- Quel connard…, l’interrompit Cécile. Il est au courant ? »
Adil la regarda sans comprendre. 
« Hein ? 
- Stéphane, il est au courant ? Je comprends mieux pourquoi il était aussi chiant…
- C’est pas lui. »
C’était à son tour de le regarder sans comprendre. Puis il vit qu’elle percutait, il vit son regard changer et il s’empressa de tout lui expliquer avant qu’elle ne se fasse des idées. 
« Mais ça ne s’est pas passé comme elle le décrit, Cécile. C’est vrai qu’il est arrivé un truc entre nous cette nuit-là mais elle était consentante. Je te le promets. »
Il marqua une pause, cherchant ses mots. 
« On avait pas mal bu et je ne me souviens pas de tout… mais tu me connais. Et elle était d’accord. Je sais que ça n’excuse pas tout. Je sais. Je n’aurais jamais dû. Mais ça faisait un moment… presque depuis le début du stage… qu’il se passait un truc entre nous. Elle me plaisait vraiment. Et ce que je pense, ce que je crois, c’est qu’elle ne va pas bien. Elle a complètement disparu après son stage chez nous et j’imagine que ça n’allait pas dans sa vie, et ce dont je suis vraiment coupable et ça c’est vrai, c’est de ne pas avoir vu qu’elle allait mal et qu’elle était sans doute très sensible…»
Il se tût. La regarda, attendit. Pensant : c’est maintenant qu’elle va m’en mettre plein de la tête. Et ce sera mérité. Plus que mérité. 
Mais Cécile se contenta de lui demander : 
« Elle était en 4ème année, c’est ça ?»
Il acquiesça, décontenancé. 
« Elle avait quoi, 22 ans ? Et toi, 34 ans ? Et t’étais son maître de stage.
- Je sais. C’est…
- Merde, Adil… » Elle secoua la tête, l’air incrédule. La voix toujours aussi posée, elle poursuivit : « C’est son pot de départ et en guise de cadeau, son patron la serre. Et tu me parles de consentement ? Vraiment ? »
Il baissa la tête. Qu’est-ce qu’il pouvait répondre ? A part répéter encore et encore qu’elle n’avait jamais dit non. Cela devait quand même compter un peu, non ?
- Tu lui as parlé depuis ?
- Non. J’ai essayé de l’appeler, mais…
- Arrête. Ce tweet, il a été vu ? Repris ?
- Pas encore. »
Il se sentait sonné. Sonné, et blessé par la manière dont elle le regardait.
« Cécile, c’est moi là, d’accord ? Pas Vincent ou un autre de ces connards… Tu me connais, tu sais que… » mais elle l’interrompit. 
« Il y en eu d’autres ? » 
Il secoua la tête, de plus en plus incrédule. 
« J’espère que tu me dis la vérité. Tu as conscience que je vais devoir faire quelque chose ? Même si je te connais… surtout parce que je te connais… Et parce que tu appartiens à la direction.»
Elle soupira, se leva.
« Le tord que cette histoire va nous faire… Rentre chez toi, Adil. Et ne viens pas demain, ok ? 
- Pourquoi ?
- Un tiers de notre staff est composé de gamines de l’âge de Léa. Tu comprends ? »
Il secoua la tête. Non, il ne comprenait pas. Qu’est-ce qu’elle croyait qu’il allait leur faire ? 
Elle le guida jusqu’à la porte.
« Je t’appellerai plus tard dans la soirée. Ou demain matin.»
Il traversa le couloir, entra dans son bureau, s’assit sur le canapé et y resta, à relire les tweets et se repasser cette nuit, déchiré entre honte et colère. Il avait à la fois envie de hurler « c’est injuste ! » et de creuser un trou pour s’y cacher. 
Sa manière de le regarder… Comme s’il l’avait violée. Comme s’il ne valait pas mieux que David. 
Il pensa : elle a réagi sur le coup de l’émotion. Je l’ai déçue. 
Je vais lui laisser le temps de se calmer. Et là, on pourra discuter. Elle va se calmer et m’appeler, ou bien venir me voir. 


Mais c’est Stéphane qui, deux heures plus tard, poussa la porte du bureau. 
« Cécile vient de m’appeler. »
Adil était sonné mais encore assez lucide pour percevoir l’ironie de la situation. Il attendit le premier coup. 
« J’ai lu les tweets. C’est vrai, ce qu’elle raconte, cette fille ? Léa ? »
Adil poussa un vague grognement. A quoi bon essayer de lui expliquer ? 
« Tu veux pas en parler, je comprends… Bref. Cécile envisage de te sortir. Elle dit qu’on doit être exemplaire, ce genre de trucs.
- Me sortir ? » répéta Adil en se redressant lentement, le visage brûlant. Comme si on l’avait giflé ou qu’on lui avait craché au visage.
- Ouais. Rien n’est décidé, mais elle prend ça au sérieux. Je pense qu’elle a peur pour l’agence. Elle veut qu’on en discute ce soir, tous les deux. »
Adil le regarda longuement sans vraiment le voir. Il pensait à Cécile, à Léa, à ce qu’il leur avait fait. A ce qu’elles lui faisaient. 
« Elle t’a vraiment dit qu’elle voulait me virer ?
- Ouais », répondit Stéphane avec toujours la même sympathie dans la voix et péniblement, très lentement, les choses commencèrent à s’organiser dans l’esprit d’Adil et à prendre sens, et il comprit la véritable raison de sa venue.
« Elle a besoin de ton accord.
- En effet.
- Et tu vas lui dire non.
- Tout juste.
- Et en échange ?
- En échange ? Comment ça ?
- Tu vas vouloir reparler de David, j’imagine. »
Stéphane le dévisagea un moment, l’air perplexe, puis éclata de rire. 
« Tu crois que je suis venu marchander ? » 
Il se leva et, prenant tout son temps, alla chercher une bière dans le frigo. 
« T’en veux une ? Non ? Ecoute… Je m’en fous de David. Je pense que vous y allez un fort, c’est vrai. Mais si ça vous tient tant à coeur… Il n’est pas si bon que ça, et on n’aura aucun mal à le remplacer.  »
Il avala une gorgée de bière et haussa les épaules. 
« Tu t’es vraiment comporté comme un sale con, tout à l’heure. J’étais à deux doigts de te foutre sur la gueule, tu sais ? Mais je me suis dit : quelque chose ne va pas. Il est pas dans son assiette. Et je comprends pourquoi, maintenant. Y’a de quoi péter un câble ! OK, elle était jeune. Mais elle était majeure, non ? Et quand elle écrit qu’elle s’est sentie forcée, je comprends ce qu’elle veut dire, t’étais son maître de stage. Mais merde, la moitié des types en agence ont couché ou essayé de coucher avec leur stagiaire ! On va pas tous les licencier. Et puis, je te connais, t’es un mec bien. Si t’avais senti que quelque chose n’allait pas, tu te serais arrêté. »
Adil acquiesça. C’était vrai. Bien sûr qu’il se serait arrêté.
« Et la réaction de Cécile… Tu ne mérites pas ça. Un blâme, pourquoi pas, mais te sortir de la boîte qu’on a montée ensemble… C’est ça, la justice ? »
Adil hocha de nouveau la tête. C’était vrai, encore une fois. 
« Je ne sais pas ce qu’elle décidera. J’espère qu’elle aura retrouvé ses nerfs demain matin. Mais si c’est pas le cas… Voilà, tu sais que je te soutiendrai. »
Il se leva pour partir et lui tendit la main. Et Adil il pensa à Léa et à Cécile et il faillit refuser ; mais voilà, c’était la seule main qu’on lui tendait à cet instant. 
« Merci. »
Stéphane lui sourit. 
« C’est normal. Je suis sûr que tu ferais la même chose pour moi. »